par Asrion Warvold Ven 14 Juil - 18:11
J’ai profité d’un de ces rares jours où Asrion quittait son refuge pour gagner la ville, en quête d’approvisionnement et de matériaux. Je l’ai regardé s’éloigner par le dôme, jusqu’à ce que la forêt l’engloutisse. Puis je me suis mise à fouiner.
Je ne pouvais m’empêcher d’en ressentir un léger pincement, car je n’aime pas, quelqu’en soit les raisons, salir ma propre honnêteté; mais c’était nécessaire, cette fois, car l’apprentissage que j’avais entrepris auprès de lui ne reposait que sur une chose : la confiance. Et maintenant qu’elle était émoussée, j’avais besoin de réponses. Qu’il se refusait à fournir.
Il avait établi son plus personnel des sanctuaires dans l’une des cellules de la chapelle, dont j’ai été surprise de trouver la porte ouverte, signe indéniable de la confiance qu’il me rendait en retour, et que je m’apprêtais à amoindrir. Encore un pincement de remords.
Je n’ai hésité qu’un instant avant d’entrer.
Je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. La pièce reflétait le dôme : un des capharnaüms que seul le maître des lieux doit comprendre. L’ordre intrinsèque au chaos.
J’ai ignoré l’armoire, survolé les piles de feuilles tachées d’encre sur le bureau, les livres ouverts jetés en vrac, le lit à peine défait; je me suis en revanche penchée sur le coffre qui ornait, seul, le dernier mur de la chambre. Le seul élément droit, propre, intact de la pièce.
La clé était restée sur la serrure. Je l’ai tournée sans qu’elle émette de grincement et soulevé le lourd couvercle.
Il n’était guère rempli. J’ai sorti de là un épais fourreau de cuir renforcé, lissé par le passage du temps. L’épée que j’en ai tirée n’avait rien de commun. Elle était longue, ébréchée, et semblait constituée d’un étrange métal gris sombre et légèrement vitreux. Du doigt, j’ai effleuré l’inscription qui courait sur la lame, depuis la garde. Darag Ni El. N’ayant aucune idée du sens de ces mots, j’ai mis l’épée de côté.
Puis j’ai effleuré du bout des doigts un coffret de bois odorant. Il pesait lourd, diablement lourd. L’intérieur était garni de feuilles, de symboles gravés et teint d’ocre; cela ressemblait à la sorcellerie des moissons que l’on pratiquait assidûment ici, dans le Twelyth Mael, mais j’étais étonnée qu’Asrion en soit un adepte. Tout cela protégeait un sac de velours noir, déformé par son contenu.
J’ai involontairement frémi en le vidant. Il contenait quelques figurines, que je supposais sculptées de la main d’Asrion, mais je n’avais jamais rien vu de tel. J’avais beau les tourner entre mes doigts, je peinais à leur donner un sens. Aucune ne se ressemblait et aucune n’était du même matériau. Il y en avait une de bois pâle, de pierre verdâtre, d’obsidienne insondable.
A les regarder j’étais prise d’une étrange inquiétude, comme si la seule vue de ces choses me mettait mal à l’aise. Ce n’était que des formes sans queue ni tête, difformes, boursouflées, pourvues de trop de membres, trop d’yeux, trop de bouches et trop de tentacules. Pourquoi avoir inventé tout cela ? Pourquoi les avoir gardées celées avec tant de précautions ?
Elles étaient froides entre mes mains. Je ne pouvais en détacher mon regard.
Je me suis sentie frissonner, de très loin, comme si mon esprit avait cessé de prendre mon corps en compte, comme s’il essayait d’écouter quelque chose qui tentait de communiquer, de saisir les volutes d’un souvenir oublié.
J’ai frissonné plus violemment. Avec une certaine réticence, j’ai remis les figurines dans leur sac de velours, que j’ai refermé d’un noeud serré, serré, serré.
La dernière chose que contenait le coffre était une liasse de feuillets jaunis. Aucun n’était complètement vierge, car ils comportaient tous la même entête : «Lucy.»
En dessous se devinait l’écheveau d’un début de phrase, noyée d’encre. Des lettres. Jamais écrites. Jamais envoyées.
Asrion est revenu les mains vides mais je n’y ai prêté aucune attention.
Je l’ai regardé approcher du globe de bronze qu’il polissait depuis des jours.
«Qui est Lucy ?»
Sa main levée vers la surface de la sphère s’est arrêtée juste avant de l’effleurer. Non pas net, mais doucement, comme une coulée de givre achevant de cristalliser.
Je l’ai vue trembler.
J’ai vu la démence qui sous-tendait tout son être.